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Pierre Granfond / Aix-en-Provence / 05-07-99



” ...le Tnaï entre sous la gounta et vient s’asseoir sur le tabouret très bas qu’on lui a réservé dans le cercle que forme la famille. Il n’a rien dit. Personne n’a rien dit. Il s’installe lentement, presque à genoux, et sort de l’immense poche de sa koubhla différents petits sacs de toile qu’il ouvre délicatement. Il verse un peu de leur contenu, des graines de tailles et de couleurs variées, dans des bols de terre rouge qu’on a disposés devant lui sur un plateau de bois. Il referme chaque sac, les range, dispose les bols en deux rangées parallèles, l’ordre semble important. Tous ses gestes sont lents, mais précis. C’est une économie de gestes.

Les femmes ont allumé quelques charbons de bois à la base d’une sorte de petit réchaud cylindrique, plus haut que large. Posé dessus, du même diamètre, c’est-à-dire pas plus d’une douzaine de centimètres, un récipient émaillé rempli d’une eau légèrement verdâtre. Mais peut être est-ce juste la couleur des bords intérieurs du récipient qui lui donne cette teinte, ou une association d’idée engendrée par l’odeur de thé ambiante.

Maintenant le liquide est à un état d’ébullition régulière que quelqu’un se chargera de maintenir précisément en déplaçant méticuleusement les braises.

On lui a fait passer deux longues baguettes. Il les utilise pour prendre quelques graines dans un bol qu’il dépose dans l’eau bouillante. Attend un instant, recommence avec d’autres.

Tout se fait dans un silence parfait. Pas un silence lourd, un silence attentif.

Il a déposé une graine de plus, a suspendu son geste, soulevé légèrement sa main libre. La vapeur d’eau a cessé de s’élever en colonne, elle semble se condenser au dessus de l’eau, jusqu’à former un nuage. Un nuage parfait, qui flotte à quelques centimètres au dessus du récipient. Sa base, aplatie, en a les mêmes dimensions. Elle s’assombrit, tandis que le haut mousse, s’éffiloche, prolifère.

Il va très vite maintenant. Il dépose des graines qu’il n’avait pas utilisées jusque là. Le nuage devient très dense, presque noir, s'allonge en hauteur. Une dernière graine qu’il a presque jeté. Le nuage crépite, semble exploser de l’intérieur. Quelques étincelles plus fortes et il s’écroule, s’effondre dans le récipient.

L’eau hésite, puis reprend lentement son bouillonnement. La vapeur monte en volutes.

On l’a aidé à se relever. Son regard semble vide, très las. Un homme et un enfant le soutienne, l’accompagne. Ils sortent, silencieux.

Les regards, un à un, se défigent. Cela à duré une heure, peut être. Il ne s’est pas prononcé un seul mot.”

Keneth Bloodstly, “Journal de voyages“, carnet n°8 (non publié), 1897. Traduction Laura Emington,