Pour présenter ses collections, Louis utilisait une marmotte. Une simple boîte de la taille d'une grosse valise tenue fermée par une sangle. Noire.

Un design des plus épuré donc, strict, impeccable, qui contenait tout son contraire : une profusion incroyable d'échantillons de tissus, empilés dans un vrac connu de lui seul ; une sorte d'inventaire des infinies possibilités textiles. Ainsi l'objet semblait résoudre un impossible dilemme : foutre le bazar du monde dans une épure conceptuelle.

Élégant, léger, portatif (dans l'énoncé : cette valise sans poignée était fichtrement lourde) l'objet sert de préambule à l'éloge d'une logistique minimaliste.

“La colporteuse d'étoffe“ est une estampe de Toyonobu, typique de l'Ukiyo-e, du monde flottant. À droite de la vendeuse est posé son éventaire ambulant : une superposition aussi fine et haute qu'elle de tiroirs et de rayonnages insérés dans une structure de bambous où sont fixées les deux bretelles nécessaires au déplacement.

Ceci dit, sur l'image, la quantité d'étoffe paraît plus importante sur le personnage que sur son étalage.

Dans un autre monde flottant, Can Tho peut-être, enfin quelque part dans le delta du Mékong où toute l'activité commerciale se passe sur l'eau. Dans la cohue des embarcations on ne sait pas qui vend ou achète, toutes débordent de tout. Sauf celle-ci, un peu à l'écart du marché, signalée d'un brocard de soie rouge et or.

Dans le sampan quelques coupons seulement, pliés et dépliés délicatement, somptueux. Tissés au village, là-bas. Par là oui. Non après le pont, plus loin.

Un dérivé des Tubes des épiciers Perge ou Géry adapté au commerce textile (voir note 625 et l'essai d'Estibal “Le(s) Bazar(s) du Monde”). De la porte latérale on peut accéder à une cabine d'essayage qu'un simple rideau isole du reste de la fourgonnette.
Option impossible avec un Piaggio Ape (quoique), mais cet utilitaire à trois roues s'infiltre encore mieux dans les méandres urbains et les exigences de la problématique initiale : légèreté et adaptabilité.

Dans cette rubrique motorisée pourrait s'inclure les limousines transformées en boutiques de luxe qui traînent dans le DF de Mexico ou sur les parkings de Ciudad del Este, mais ce chic là est ostensiblement trop lourd.

La boutique, ou plutôt le comptoir, est située juste après Piétonville, dans la descente qui mène au centre de Port-au-Prince. Un simple carton renversé, pliable donc, et délicatement posé dessus un bout de madras, coloré, gai.
Le tissu n'est pas à vendre. Ni la montre qu'il recouvre.
Ce qui se vend ici c'est l'heure.

On est dans le summum du raffinement que nul gourou de Wall-sreet n'atteindra. À un tel niveau d'esthétique formelle et conceptuelle le prix devrait être exorbitant. Suprême élégance, il ne l'est pas.

Il s'agit d'un court-métrage, “Le Foulard de Smyrne” (François Villiers / 1956, scénario et narration de Giono lui-même). Comme Rinaldi n'a pas vu le film, il imagine le colporteur de soies d'après d'autres figures décrites par Giono dans ses romans. En effet la figure du commerçant ambulant y est récurrente, errant dans les vents des plateaux avec son âne ou son mulet surchargé.
Ici le bât, adapté à son commerce, se déplie et s'ouvre sur un éventaire de merveilles brodées et satinées, rangées selon une harmonie baroque qui privilégie la répartition des poids.

Celui de Kermel, à Dakar : certaines rues adjacentes au marché se sont spécialisés dans le commerce textile. C'est là qu'elles négocient les bazins qu'elles ont teints elles-mêmes. Bleus et superbes. Elles viennent de loin, les tissus empilés haut sur leur têtes hautes. Fières et superbes.
Une simple ficelle donc suffit. Certaines s'en passe même.

Mais cette méthode, qui n'exige pas qu'un port de reine, est en fait très sophistiquée, réservée à quelques. On rejoint la problématique initiale de Rinaldi : très compliqué de faire simple.

Pati : chiffonnier ambulant. D'après Rinaldi cette activité était trop d'avant-garde, elle disparaît avant l'ère des préoccupations écologistes et du recyclage (voir note 629). Mais la méthode est toujours la même : on empile les tissus sur une toile plus grande, on rassemble les quatre coins, on fait un nœud ou on relie avec une ficelle, et voilà.
Le principe est universel, appliqué partout depuis toujours. La toile déplié constitue l'étal, replié le moyen de transport.

Les variantes sont minimes, adaptées au contexte. Aux puces sauvages de Clignancourt la toile n'est plus en chanvre grossier, c'est une bâche plastifiée, vaguement écossaise, munie sur les bords d'oeillets où glisse une corde. En tirant sur cette dernière on remballe fissa l'affaire en attendant que la brigade aille voir plus loin où on n'est pas puisqu'on est de nouveau là.
Simple, efficace. Un peu froissé quand même.

L'extrait exact : “Permettez, Monsieur, que j'ouvre un peu votre doublure. Ce disant il en retirait des mouchoirs, des châles, comme s'il les sortait de sa propre malle.” (Les Âmes mortes / Gogol - 1842). Le vêtement lui-même comme moyen de circulation des étoffes est on ne peut plus portatif. Pour les étoffes rarement dissimulé de nos jours. Ou pour la forme, comme avec les vestons des vendeurs de rue de Ciudad del Este dont les revers sont de vraies vitrines.
Mais le plus simple est de juste superposer, sans surcharger et en gardant une certaine élégance. Quantité limitée donc.

Le tapa est enroulé ou plié dans un autre tissu, d'écorce aussi, ou autre, peu importe. Lié pareil, l'essentiel est que l'emballage soit hermétique, protège de l'humidité et des insectes. Après l'aspect pratique de l'ouverture n'a aucune importance, le tapa ne sera peut-être jamais déballé. Il peut rester invisible.
D'ailleurs, par son caractère magique, il est là ou ailleurs, ça résout certains problèmes de transport. Ou les complique.
Etant monnaie lui-même, il n'entre pas non plus dans le cadre des transactions commerciales classiques, mais dans des systèmes d'échanges autrement plus élaborés.
Mais sa préciosité est elle universelle.