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Anne Lévy / Paris / 04-07-99



Ci joint, un extrait du livre de Gilles Bonfard, ”L’Archéologie du futur” ed. SUR, 1978.

“Les fouilles d’Ougarit dirigée de 1956 à 1959 par Robert Scotdly, donnèrent, grâce à leur remarquable organisation, les résultats que l’on sait, tout en sachant que le matériel recueilli est encore loin d’être entièrement étudié. Mais elles resteront célèbres pour la controverse née de la découverte d’un simple éclat de céramique, autour duquel s’affrontèrent différents spécialistes, au delà des traditionnelles querelles d’écoles archéologiques.

C’est le motif peint sur l’éclat, ou plus exactement les deux éclats (un premier triangle de 10x9x8,5cm et un deuxième de 8,5x7x6cm dont le plus grand côté coïncide avec le plus petit du premier), qui alimente encore de nos jours le débat.

Les quatre traits noirs, deux verticaux surmontés symétriquement de deux autres en forme de toit, ne posent aucun problèmes d’identification: c’est la représentation traditionnelle du temple notée dès le XVIIIe siècle avant J.C. sur les tablettes de Mari, ou gravée sur la façade ouest du temple de Karnak, motif que l’on retrouvera plus tard dans différents sites du bassin méditerranéen. Ce que le tracé renferme est plus curieux: une boucle de cinq arcs de cercles successifs refermée sur elle-même, barrée à sa base de trois traits parallèles. Mais si la figure est plus rare, elle n’est pas unique, et, là encore, on retrouve un consensus presque général pour associer le pictogramme à un nuage. Consensus lui aussi basé sur des recoupements évidents de différents travaux bien trop longs à énumérer ici (cf, “Une météorologie méditerranéenne”, Louis Stimson, ed. Stein, Stuttgart, 1953).

C’est l’interprétation des deux motifs réunis qui posa problème.

Robert Scotdly, fort du retentissement de ses recherches, publia un premier article dans La Revue Archéologique (N°418, mai 1960). Il y affirma, en s’appuyant sur les études de Robert Bénisto concernant les religions des villes du nord de la Palestine antérieures au XIIe siècle avant J.C., que la céramique se rapportait au culte de Baal. On sait en effet qu’un temple fut construit sur le Mont Deblo, qui dominait la ville d’Ougarit, et qui lui fut dédié. La population y célébrait le dieu-nuage qui réapparaissait chaque année, annonciateur d’une pluie fertilisante.

Mais Karett Ferguson, de l’Université de Philadelphie, remis tout en question. Déjà ses publications antérieures mettaient à mal les travaux de Robert Bénisto qui dataient, c’est vrai, du siècle précédent. Il était établi, maintenant, que les villes côtières s’étaient fait envahir par “les peuples de la mer“, certainement d’origines crétoises, entre le VIe et le Ve siècle. La légèreté du dessin et la technique de cuisson employée, faite en deux temps, argile d’abord, pigments ensuite, ne furent pour lui qu’une attestation de plus de l’influence venue de l’ouest. Il en vint très vite aux légendes homériennes et soutint la thèse de la représentation de Zeus transformé en nuage dans le palais d’Acrisios.

La conclusion était un peu rapide, pas très étayée surtout. Dans une conférence donnée à la Sorbonne en 1963, Philippe Constant la démonta facilement et soutint une approche plus globale de la problématique en multipliant les facteurs convergeants. Il formalisait par- là même la théorie du complexe résurgeant, aboutissement logique d’un courant d’une nouvelle génération d’archéologues qui souhaitaient appréhender leur spécialité au travers d’autres approches scientifiques.

Il s’en tint aux faits: la datation en laboratoire démontrait que la figure avait été peinte en deux temps, le nuage était d’une époque récente (entre le Ier et IIe siècle après J.C.). Il rappela que le tel où l’éclat avait été trouvé était aussi l’emplacement de thermes romains. Citant certains textes apocryphes, il en vint aux pratiques de magie noire

connues dans le Moyen Orient. Montra les graffitis d’Herculaüm, la mosaïque de Volubilis, la fresque du tombeau de Ramsès III de la Vallée des rois où l’on voit dans la procession des offrandes un prêtre tenir un nuage sur un plateau, etc.

De la profusion d’éléments, il ne conclut strictement rien, laissant le public dans un profond désarroi.

Le débat pouvait commencer.”